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Bouleversée par la crise, l’industrie du Conseil doit se réinventer (experts)

L’année 2020, marquée par la pandémie du Covid-19, a été difficile pour l’industrie du conseil, qui souffre déjà de plusieurs maux, au Maroc. Le secteur a toutefois su s’adapter rapidement, mais des changements de business model et de stratégies s’avèrent nécessaires dans l’ère post-Covid.

Article écrit par Kenza Khatla et publié au niveau du journal « médias 24 » le 8 avril 2021

Lors d’un workshop virtuel organisé conjointement, mardi 6 avril, par la Banque européenne pour la restructuration et le développement (BERD) et l’Union européenne au Maroc, sous le thème « l’industrie du conseil au Maroc : challenges et opportunités post Covid 19 », différents intervenants ont dressé un panorama du secteur du conseil au Maroc et présenté les difficultés auxquelles il a fait face durant les premiers mois de la pandémie, ainsi que les opportunités post-Covid.

 

Les maux du secteur

Lors de son intervention, Nabil Benazzouz, président de la Fédération marocaine du conseil et de l’ingénierie (FMCI), a listé les trois principales problématiques du secteur.

La première fait référence à l’organisation du marché et donc « l’amalgame entre les branches des spécialités des cabinets de conseil ». Selon lui, il existe trois principales spécialités dans ce secteur. La première est le « management, traitant du conseil, de l’audit et les conseils légaux, qui est menée à l’international par les Big 4″. La seconde est relative au « volet stratégie, qui traite de l’étude des marchés, de la veille, ainsi que le repositionnement, menée par les MBB, (McKinsey & Company, Boston Consulting Group et Bain & Company) ». La troisième est celle des « boutiques spécialisées, traitant un aspect spécifique dans l’une des deux branches citées précédemment ».

« Au Maroc on trouve de tout. Et le danger est que des bureaux d’une certaine taille, connus dans un spectre de spécialité donné, profitent de cette situation locale confuse, pour s’improviser un peu partout et pallier, à leur manière, au manque de visibilité sur la commande. Avec tous les corollaires que ceci peut impliquer, à savoir le dumping, la croissance non saine et l’atteinte à la crédibilité et la réputation du conseil. Cette situation est également contre-productive vis-à-vis de notre objectif qui est de booster le marché, au lieu de le rétrécir ».

La seconde problématique du secteur est « la sous-valorisation des prestations et la baisse des honoraires. Un point que nous examinions avec le pouvoir public, le ministère des Finances et les opérateurs privés bien avant le Covid, dans le cadre du contrat-programme du secteur », signé en 2018 avec l’Etat.

La troisième est « l’insuffisance, voire l’absence d’évaluation des prestations, assortie de récompenses et de sanctions. Qu’on fasse une bonne prestation ou pas, on est toujours traité de la même manière, ce qui encourage la médiocrité. Et c’est pour cela que la régularisation du marché tarde à venir ».

 

Un marché hétérogène, bouleversé par internet

Nabil Bayahya, président de l’Association marocaine du conseil en management (AMCM), qui regroupe une trentaine de cabinets, estime pour sa part que le marché marocain du conseil « est aujourd’hui devenu mature. Toutefois, il reste assez hétérogène ». D’après lui, les cabinets internationaux et des dizaines de cabinets nationaux « représentent les trois quarts du business consulting en stratégie management, que nous estimons à peu près à 700 ou 800 millions de DH. Puis, nous avons beaucoup d’indépendants, parfois des petites structures et énormément de cellules internes de consulting qui se sont développées dans certaines organisations, telles que les banques et les multinationales ».

Par ailleurs, « les donneurs d’ordre qui dominent le secteur sont de loin, les banques, assurances et le secteur public, qui représentent les trois quarts du volume des activités ».

Autre élément important relevé par M. Bayahya, c’est que « internet a bouleversé ce métier. Aujourd’hui sur le web, vous trouvez toutes les recettes du consultant. C’est une ressource importante disponible au client, qui peut se dire qu’il n’a plus besoin d’un conseiller. Egalement, les consultants peuvent à présent se vendre sur internet, en affichant leur référence ».

Le président de l’AMCM a également noté « l’émergence de petits projets. Les donneurs d’ordre ne s’engagent plus dans de grands projets. Ils souhaitent travailler de manière précise sur des petits projets, ce qui n’est pas en la faveur des grands cabinets. Ce paramètre aide plutôt à l’émergence de cabinets indépendants et de petites structures. Une tendance qui a poussé les grands cabinets à s’organiser avec une certaine agilité pour adopter une forme hybride, entre des consultants permanents et des experts indépendants, qu’ils intègrent dans le cadre d’un projet donné, afin de diversifier leur champ d’intervention ».

 

Le Covid, un coup dur pour le secteur

Concernant la période Covid, M. Bayahya rapporte que les cabinets affiliés à l’association qu’il préside « ont accusé une baisse allant de 15 à 30% de leur chiffre d’affaires en 2020. C’est énorme puisque c’est quasiment la marge opérationnelle de ces consultants. C’est presque une année blanche. La majorité des confrères ont eu comme réaction un aménagent du temps de travail, la réduction de la sous-traitance, et malheureusement, certains cabinets ont même gelé les salaires et les recrutements. La demande a également baissé, et la commande publique s’est rétrécie. De grands projets ont été redimensionnés, annulés, ou reportés par les donneurs d’ordres, notamment les banques et assurances ».

« On espère qu’il y aura un rebond en 2021. Les signaux sont positifs, et nos clients ont sorti la tête de l’eau. Ils commencent ainsi à réfléchir sur leur repositionnement et à un changement de leurs business model ».

  1. Benazzouz estime pour sa part que les trois problématiques qu’il a citées lors de son intervention « se sont accentuées par le Covid. Cependant, cette crise a été l’opportunité de lancer de nouvelles réflexions et des remises en cause à l’échelle institutionnelle. »

Fatima Zahra Mzioued Bennis, présidente de l’Association des bureaux de conseil et de formation (ABCF), confirme. « Le Covid est venu prouver que le conseil n’est pas une charge mais un investissement et un retour sur investissement. Le chef d’entreprise est seul. Il a besoin de partage et de vision » que le consultant peut amener.

 

Opportunités post-Covid

Pour M. Bayahya, qui est également executive partner au cabinet Mazars, « à présent, les cabinets vont se réinventer face à l’évolution de la demande. On voit que nos clients sont plus nombreux à prendre conscience de l’importance du digital. On voit aussi l’arrivée de l’intelligence artificielle et de la blockchain dans les business model, ainsi que la robotique… On doit donc orienter notre métier de façon à apporter de la valeur, avec des services extrêmement agiles, flexibles et capables d’adresser un savoir-faire extrêmement pointu. La tendance va vers la cohabitation entre les petites structures et des petites équipes parfois même dans la même structure, ainsi que des managers de projets qui sont capables de comprendre le besoin et de mettre en place une équipe et une méthodologie de travail, mais essentiellement de composer une équipe et de faire un casting d’experts et de consultants pour apporter une réponse adaptée au client ».

« Les cabinets de conseil doivent aussi réinventer leur modèle économique. Ceux qui réussiront sont ceux qui seront capables d’être des intégrateurs de projets, qui peuvent ainsi renforcer leur équipe par des experts spécialisés, ainsi que les cabinets de taille humaine, qui ont une spécialité (expertise). Un cabinet généraliste aura du mal à être compétitif dans les dix prochaines années ».

Abderrahmane Lahlou, président fondateur de l’Université Mundiapolis et ancien directeur de Abouab Consulting, a pour sa part souligné que les quatre actions post-Covid les plus importantes à entreprendre par les cabinets de conseil sont les suivantes :

  • Adopter l’agilité dans son business développement, et particulièrement en termes de positionnement entre la position de niche, qui veut dire être spécialiste dans son domaine, et le mainstream, autrement dit, être généraliste dans le management.
  • Le consultant devrait apprendre à offrir beaucoup plus la démarche d’accompagnement et l’externalité, que des solutions, ce qui est plus permis aux petits cabinets. « L’œil externe est parfois ce qui manque le plus au chef d’entreprise. »
  • Migrer des missions diagnostic-solutions, vers des missions exploratoires, qui vont plutôt apporter de la diversification dans de nouveaux domaines d’activité stratégiques.
  • L’opportunité des restructurations financières et de la relance des entreprises. Une étape qui nécessitera beaucoup d’accompagnement.

Kenza Khatla

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